Dans les métropoles occidentales, la marche lente est très utilisée de deux façons. La première soumet le piéton à ce que Walter Benjamin nommait « les fantasmagories urbaines », soit une somme de fictions destinées à combler les désirs consuméristes du marcheur. Parodie pathétique de la première, la seconde façon concerne exclusivement le piéton pauvre, qui ne s’emploie plus à consommer, mais à ne pas paraître improductif. Il ne marche pas dans les rues pour se rendre quelque part, mais pour éviter l’arrêt, marque visible de déclassement social. Marcher ne sert in fine qu’à retarder le processus d’autodestruction du marcheur. C’est de cette façon que marche Vernon Subutex, disquaire légendaire des années 80, protagoniste en creux du roman éponyme de Virginie Despentes. Je me limiterai à l’analyse de la première partie partie du tome 1 (Vernon Subutex a fait l’objet de deux suites) pour illustrer cette idée. Le succès de ce roman tient autant à son histoire (une sorte d’enquête policière dont Vernon est la clé) qu’à sa trame (l’histoire de Vernon restituée par les dernières personnes qui l’ont croisé) ; elle agit comme un dispositif plaçant le lecteur dans la position inconfortable de scruter la déchéance d’un homme. La posture du lecteur tient alors à ce qu’il projette de sa propre histoire dans la mimesis du texte : l’indicible angoisse de devenir Vernon marchant dans Paris.